Infrastructures
de Telecom : quand les pouvoirs publics retrouvent
leur
responsabilité en matière d’aménagement du territoire
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note de réflexion
I - Les Télécommunications : un élément de plus en plus déterminant pour l’aménagement du territoire
Progressivement les infrastructures de télécommunications, tant au niveau de leur qualité que de leur coût sont devenues un élément déterminant dans la compétitivité d’un territoire.
Au début des années 1990 déjà, une étude sur la compétitivité de Paris par rapport à Londres, Amsterdam et Francfort, montrait notre retard dans ce domaine, et le déménagement du siège social de IBM - Telecom de Paris à Londres a été perçu comme la confirmation de cette analyse.
Aujourd’hui l’Internet devient le système nerveux du tissu industriel, bien au-delà même du commerce électronique. Il concerne toutes les fonctions vitales de l’entreprise : conduite de projet, relations entre bureaux d’étude, recherche d’appel d’offres, veille technologique, veille commerciale et concurrentielle, marketing, recrutement des cadres, gestion de la logistique, service après vente, formation, achats, télétravail, surveillance des risques, gestion financière, relation entre donneurs d’ordre et sous traitants, fonctionnement des réseaux d’entreprises, ...
La qualité comme la capacité et le coût des liaisons devient de ce fait un élément déterminant
- pour qu’une entreprise locale puisse se développer et survivre à la compétition dont l’intensité va s’accroître avec l’arrivée simultanée de l’Internet et de l’euro ;
- pour qu’une entreprise étrangère puisse raisonnablement décider de s’implanter dans cette zone.
Une étude américaine que m’a transmise Francis Lorentz souligne ce point sans ambiguïté (Collaborative Economics ) :
"When seeking new sites for their operations, companies no longer seek out low wage communities. The new priorities are workforce quality, access to innovation resources and networking infrastructure.
Changing Demands on Infrastructure
. Businesses are finding that not having access to high-quality, high-speed connections to the Internet can put them at a disadvantage.
Smart cities are more attractive because they save money for the business."
II - La fin du monopole entraîne une féroce concurrence qui conduit à un effondrement des prix ... dans les zones où cette concurrence se manifeste : le risque est de voir apparaître un accroissement des écarts entre ces zones et les autres
Les conditions techniques et économiques étant assez voisines entre les pays de l’OCDE, il y a tout lieu de penser que, là où la concurrence se manifeste, les coûts en France pour disposer d’une desserte à haut débit, vont s’aligner sur ceux de pays comme les USA, c’est-à-dire baisser d’un facteur 5 à 10 et que les débits et la qualité vont considérablement augmenter.
Mais il y a tout lieu de penser également que dans les régions à dominante agricole, comme le grand sud-ouest, ou dans les zones sinistrées comme les zones minières et sidérurgiques les opérateurs Telecom qui doivent concentrer leurs forces dans la bataille qui se prépare pour conquérir les quartiers d’affaires, ne vont pas y disperser leurs moyens et se bousculer pour investir.
Le risque est
de voir augmenter dans de grandes proportions les disparités tant
de prix qu’en capacité de liaison entre régions "branchées"
et les autres.
III - Les Telecoms : une infrastructure qui pose les mêmes problèmes aux responsables de l’aménagement que les dessertes aériennes, les voies ferrées ou les routes
1 - Les deux notions de rentabilité d’un investissement
La rentabilité d’un investissement structurant quel qu’il soit peut s’analyser de deux points de vue
- celui du propriétaire ou de l’exploitant de l’infrastructure qui juge de la rentabilité intrinsèque : les ressources qu’il tire de la vente des droits d’usage ("péages") permettent-elles de couvrir l’amortissement de l’investissement et les frais de fonctionnement ?
- celui de la collectivité dont l’économie bénéficie de l’infrastructure (ou est pénalisée par sa déficience).
Une infrastructure peut ne pas être rentable pour le premier et être "rentable" pour le second en mettant dans la balance les gains économiques externes (ceux dont bénéficie la collectivité mais non l’opérateur).
Le cas extrême est la route communale qui a une rentabilité intrinsèque nulle et que pourtant on construit car elle conditionne la vie de la commune.
La situation la plus fréquente est celle d’une rentabilité intrinsèque insuffisante comme c’est le cas par exemple pour le TGV Est, le TGV de Floride, les autoroutes ou pour les lignes aériennes desservant les villes moyennes : l’investissement ne trouve sa rentabilité qu’en prenant en compte son impact sur l’économie.
2 - Les conséquences à en tirer en matière de financement de ces infrastructures
Dans un tel cas la solution qui s’est imposée depuis toujours, a consisté à "internaliser" cette rentabilité externe par le canal d’une subvention (investissement ou fonctionnement) permettant à l’opérateur d’atteindre le seuil de rentabilité et ainsi de déclencher la décision d’investir.
C’est la logique qui a présidé aux discussions sur le TGV de Floride ou sur les lignes aériennes par exemple.
Les Telecoms rejoignent tout simplement le droit commun maintenant que l’Etat n’est plus simultanément actionnaire unique, gardien des règles de concurrence et du maintien du monopole et responsable de l’équilibre de l’aménagement du territoire.
Extrait de l’étude Collaborative Economics :
"Unlike most other forms of public infrastructure, the National Information Infrastructure is being built by the private sector. The old system of publicly regulated monopolies is crumbling. New competitors are emerging with new technologies and high ambitions.
Service providers are now deciding which communities they want to serve based on economic returns and competitive strategies. Communities with fewer sophisticated users and higher costs of installation will either have to pay more or wait longer.
A small number of pathfinder communities are adopting proactive strategies. Examples include the states of North Carolina and Utah, Blacksburg, Virginia, Silicon Valley and San Bernadino, California. Such communities decided that the cost of waiting for the new services is too high."
IV - Quelques pistes de réflexion sur les actions à conduire au niveau des pouvoirs publics
1 - Une solution de facilité désormais impossible : jusqu’à l’introduction en bourse et la fin du monopole, l’administration des Telecom puis l’opérateur public qui lui a succédé, bras séculier de l’Etat, était également chargé, dans son domaine, de l’aménagement du territoire.
Quand l’Etat, souvent sur la pression d’une collectivité locale, considérait qu’il convenait de faire un effort particulier sur une zone, il donnait ses instructions à l’opérateur qui les exécutait sans difficultés, car sa situation de monopole lui permettait de faire supporter ces coûts par les autres usagers (qui n’étaient pas encore des clients).
Le monopole des Telecoms interdisait même aux collectivités locales de prendre des initiatives : le feuilleton des Téléports illustre bien cette période.
Aujourd’hui brutal changement de situation : l’opérateur de Telecom doit veiller à sa rentabilité et, en dehors de la boucle locale pour laquelle il bénéficie encore d’un monopole de fait, il ne peut pas maintenir durablement des prix notablement supérieurs à ses concurrents.
De plus il doit concentrer son action et ses investissements dans les zones à fort potentiel, là où se joue son avenir et où les nouveaux entrants sur le marché portent le fer.
Il ne saurait investir dans une politique d’équilibre des territoires : ce n’est plus sa mission et il n’en a plus les moyens.
L’accepterait-il sous l’influence de son actionnaire majoritaire qu’il se mettrait dans une situation juridique inconfortable en prenant des décisions conformes à l’intérêt de cet actionnaire mais non de l’entreprise (abus de biens sociaux : cf l’incarcération d’un grand patron Français en Belgique sous ce chef d’accusation).
L’exemple d’ERAMET ou l’Etat en 1997 a échoué dans sa tentative d’imposer en tant qu’actionnaire majoritaire des décisions contraires à l’intérêt de la société, montre que l’époque de l’opérateur "aux ordres" est clairement révolue.
2 - Alors quels moyens d’action ? Pour quels pouvoirs publics ?
Les pouvoirs publics nous paraissent concernés au moins à trois niveaux :
a) au niveau européen deux préoccupations doivent être prises en considération :
- une préoccupation de cohésion : actuellement il semble que la qualité des relations entre chacun des "centres nerveux" européens avec les Etats Unis soit très convenable, mais que ce ne soit pas le cas pour les liaisons entre ces centres eux-mêmes : le 22 à Asnières est de retour au niveau européen : pour passer de Paris à Bruxelles le chemin le plus court passe toujours par New York ;
- une préoccupation de solidarité : l’Europe doit veiller à ce que les régions périphériques ne voient pas leur "périphéricité" accrue par l’Internet, comme risque d’y conduire les simples lois du marché, mais bien au contraire leur permettre de gommer les distances.
b) au niveau national comme au niveau régional ou local à l’appui de la stratégie de développement ou de reconversion définie pour le territoire : développement de PME locales ? Accueil d’entreprises étrangères ? Sur quelle zone ? Pour quel type d’activité ? ...
Il nous semble qu’il faut alors procéder en quatre étapes :
1 - traduire cette politique en terme de niveau de services nécessaires en ce qui concerne les Telecom.
En particulier il conviendra d’examiner le niveau de service offert par les zones européennes concurrentes qui ont pour beaucoup misé sur la qualité, la capacité et le prix de leurs services de Telecom.
Le contrat de Plan semble être un moment privilégié pour cette réflexion.
2 - traduire ce niveau de service en cahier des charges après les inévitables arbitrages entre le souhaitable et le possible.
Il conviendra bien entendu, face à une avenir incertain de limiter au maximum les investissements anticipant la demande. Il conviendra surtout de se mettre en situation d’être capable dans des délais très courts de rendre opérationnels les services nécessaires : ceci peut conduire par exemple à privilégier des investissements peu coûteux en argent mais susceptibles de permettre des réductions de délais significatifs lors de la mise en oeuvre (servitudes, ...).
En tout état de cause, ce cahier des charges ne devrait pas préjuger de la technologie (câble, fibre optique, ADSL, satellite, MMDS, ...) et s’en tenir strictement aux caractéristiques fonctionnelles des besoins des utilisateurs.
3 - Le troisième stade est celui de l’appel d’offre : autant les deux étapes précédentes paraissent indispensables pour toutes les régions, autant on ne saurait préjuger de leurs résultats: peut-être arrivera-t-on à la conclusion que le niveau d’équipement est parfaitement satisfaisant ou que les opérateurs seront prêts à répondre à la demande dès que celle-ci se manifestera.
Au cas où il apparaîtrait nécessaire de renforcer les infrastructures Telecom, il n’est bien entendu pas question que Etat ou collectivités locales recréent par ce biais des opérateurs publics et creusent des tranchées .
Il s’agira, comme pour une desserte aérienne ou le TGV de Floride, de sélectionner après appel d’offre l’opérateur qui demande la somme minimum pour offrir le niveau de service demandé (ou la capacité de le déployer dans un délai déterminé): l’ART veillera à ce que les conditions de la concurrence entre les opérateurs soient respectées
Dans la mesure où cette subvention vise en général à anticiper un investissement qui devrait être rentable à terme et dans la mesure surtout où la date à laquelle cette rentabilité sera atteinte dépend des autres efforts d’aménagement de la collectivité (zones industrielles, politique d’accueil d’investissements étrangers, autres infrastructures, fiscalité, ...), il paraîtrait judicieux de prévoir en tout état de cause une clause de partage des bénéfices quand ils dépassent un certain seuil avant une certaine date.
4 - le dernier stade est celui de la signature du marché et du contrôle de son exécution
Ce type de contrat ne sera sans doute pas simple à rédiger : il devra en effet donner les moyens aux pouvoirs publics de contrôler son exécution de façon ferme en limitant les risques de contentieux.
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La nécessité pour les pouvoirs publics de se doter à chaque niveau des compétences nécessaires :
Pour définir les besoins cohérents avec la vocation des territoires, concevoir un cahier des charges, rédiger un contrat et surveiller son exécution, nécessite une solide expérience face à des opérateurs richement dotés en ingénieurs et en juristes.( Pensons au domaine du BTP ou malgré une expérience multiséculaire de l’administration, il est connu que les marges des entreprises se font en grande partie sur les réclamations et la gestion des contentieux, même si les records du Tunnel sous la Manche ne sont pas la norme)
Aujourd’hui ni l’Etat, ni les collectivités locales ne disposent de telles compétences dans le domaine des Telecoms au niveau régional : cet aspect du problème est essentiel et ne doit pas être sous estimé.