Jean-Michel  YOLIN                                                                                      Paris le jeudi 23 août 2002

Les pouvoirs publics peuvent-ils encore faire l'impasse sur une véritable politique de recherche pour être en mesure d'assurer leur mission dans un environnement aussi complexe et en mutation rapide?

Pour la réation d'un réseau de recherche et d'enseignement supérieur dans le domaine des politiques publiques

I) Des changements radicaux dans le "métier" de "décideur public"

1) Dix siècles d'évolution lente : le règne de l'empirisme

Pendant toute "l'histoire de France" depuis le Moyen Âge, les évolutions techniques comme celle des mœurs se sont en faites sur de très longue période : les décisions pouvaient se prendre à partir du "retour d'expérience"
De plus jusqu'à présent, à l'abri des frontières, l'État légiférait de sa propre autorité, sans avoir à convaincre des partenaires

2) En quelques années dix mutations qui changent la donne: elles obligent à reconsidérer la façon dont l'Etat prend ses décisions

a) Le progrès technologique lance des défis totalement nouveaux

Ces dernières années ont vu des progrès scientifiques ou technologiques marquants qui posent de problèmes tant sur le plan de la sécurité que de l'éthique et que nos sociétés n'avaient jamais eue jusqu'à présent à affronter (OGM, clonage, Internet,  pilule contraceptive, nucléaire, chimie,et l’arrivée des nanotechnologies qui gomment la frontière entre la matière et le vivant,...)
Par ailleurs de nouveaux fléaux ont dans le même temps fait leur apparition (sida, vache folle, bouleversements climatiques...)

b) les phénomènes à réguler sont de plus en plus complexes

Il n'est que de penser à quelques problèmes qui défraient l'actualité :

c) Des évolutions beaucoup plus rapide (OGM, Internet) avec des risques catastrophiques parfois irréversibles (changements climatiques) ne permettent plus d'attendre le retour d'expérience

On constate une considérable accélération des mutations économiques et sociales: les mécanismes de régulation, qui eux restent soumis une certaine inertie administrative, s'en trouvent d'autant plus délicats à concevoir car il faut une capacité d'anticipation d'autant plus grande que les processus de prise de décision sont lents

d) Les nouvelles technologies gomment les distances et par là même mettent en cause la notion même de souveraineté

Internet en gommant le temps et les distances abolit la notion de territoire pour tous les échanges qui n'ont pas de composantes "physiques" et donc pour partie remet en cause les principes de souveraineté
Par là même il rend, de facto, caduques un grand nombre de lois purement nationales : règles de censure, droit de l'information ; lois sur les jeux, publicité sur le médicament, l'alcool, la drogue, publicité comparative, responsabilité pénale de l'hébergeur, droit de la preuve (signature électronique), cyberdélinquance, exclusivité territoriale, droit du travail (télétravail), protection de la vie privée, lois sur la cryptographie, création monétaire, protection du consommateur, fiscalité des transactions immatérielles… pour n'en citer que quelques-unes

Par ailleurs un droit ne vaut que s'il est effectivement applicable, ce qui n'est plus aujourd'hui bien souvent le cas car ce qui est illégal dans notre pays ne l'est pas forcément dans celui ou les faits se sont produits et que les moyens techniques de détection et de sanction des infractions n'existe souvent pas

Enfin, couplés aux NTIC, les progrès dans le domaine de la logistique conduisent à une mondialisation des entreprises dont le périmètre d'actions, et parfois la puissance, dépasse celui des État-nation (voir le palmarès rendu public le 12 août de cent puissances économiques du monde pour l'an 2000 réalisé par la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), sur lequel figurent les noms de 29 multinationales)

e) l'État perd son pouvoir d'acteur économique direct au profit d'une fonction de et de régulateur

Jusqu'à une période récente l'État était lui-même l'acteur économique majeur à travers des entreprises nationalisées qui structuraient notre économie
Ayant dorénavant abandonné pour l'essentiel cette prérogative, il se trouve maintenant principalement dans une position de producteur de normes et de régulateur:
Cela demande sans doute beaucoup plus "d'intelligence" pour définir des règles du jeu et réguler un système complexe dans une économie ouverte, en concurrence avec ses voisines que pour donner des ordres dans une société en régime stabilisé à l'abri de ses frontières

f) La plupart des décisions publiques normatives se prennent désormais au niveau international (Europe, OMC,...) : il faut convaincre nos partenaires

On le constate chaque jour, depuis les décisions les plus infimes (TVA sur les restaurants, heure d'été,…) jusqu'au plus majeures (la disparition du franc au profit de l'euro)
Avec la création de l'Europe il ne s'agit plus de prendre seul, dans le cadre d'un processus hiérarchique, les décisions que l'on pense les meilleures, mais d'arriver à convaincre nos partenaires, de la justesse de nos idées et pour cela il est nécessaire, de pouvoir s'appuyer sur des arguments solidement étayés, plus que sur de brillants discours (et ce d'autant plus, que la "french arrogance" est de plus en plus mal supportée par nos partenaires qui sont davantage que nous, attachés au faits plutot qu'aux belles paroles)

g) L'émergence de nouveaux centres de décision publique : les villes, les régions,

Autre mouvement notable dans l'organisation des pouvoirs publics : un vaste mouvement de décentralisation pour rapprocher la prise de décision du citoyen et se mouvement semble devoir s'amplifier à travers même les alternances politiques
Le "principe de subsidiarité", désacralisant l'échelon national par en haut (l'Europe) et par en bas (les collectivités locales) est maintenant bien entré dans les moeurs

h) … mais aussi les organismes "indépendants"

Notons également la création d'instances de régulation ou agences indépendantes pour mettre à l'abri certains type de décision d'interférences politiques (Banque de France, COB, Agence du médicament, Régulateur de l'Electricité, comité d'éthique, CNIL,... dont les pouvoirs se recoupent parfois: ART, Agence des Fréquences, CSA,...)

L'organisation historique française avec un seul centre de décision au niveau national s'estompe donc progressivement au profit d'une répartition de pouvoirs et contre-pouvoirs multiples avec un risque évident en contrepartie d'incohérence dans les prises de décision et de moindre efficacité des pouvoirs publics pris dans leur ensemble

i) le rôle de plus en plus important de la société civile dans l’action publique : l'émergence des "communities" sur le mode anglosaxon

Plutot que de passer par le détour de l’action étatique via l’impot, nos concitoyens aspirent de plus en plus à gérer directement les actions d’interet général dans lesquels ils investissent leur temps et leur argent et ne demandent à l’Etat que d’accepter d’amputer à due concurrence ses revenus fiscaux (action culturelle, de solidarité (resto du cœur, ONG, médecins sans frontière), recherche (Pasteur, téléthon, ARC..), création d’entreprise (réseau entreprendre,…)

j) la mondialisation, les flux migratoires conduisent les solidarités à s’exprimer dorénavant autant sur une base de réseaux " tribaux " que de nations territoriales

Internet est à la fois une des grandes causes de la mondialisation et l'outil qui permet aux structures en réseau de s'y développer en abolissant les frontières pour tout ce qui est immatériel (or dans une société moderne l'immatériel représente de plus en plus l'élément déterminant) : grandes entreprises, réseaux de PME, réseaux de recherche, institutions financières, trafiquants de drogue, réseaux terroristes, ... .
Les États ancrés dans la logique de territorialité de leur souveraineté ont en général plus de difficulté à s'adapter à cette nouvelle donne (difficulté pour un gendarme de franchir les frontières, difficulté pour la justice de sortir de son ressort,...)

Le conflit qui a éclaté le 11 septembre est emblématique de ce choc entre l'union des Etats (même l'Inde et le Pakistan se sont alliés pour l'occasion) et un réseau non-territorial

k)les médias prennent une importance de plus en plus grande dans la vie collective :

Une information est répercutée immédiatement à des centaines de millions de personnes ce qui crée des risques nouveaux en termes de comportement collectif, et ce d'autant plus que les médias, entreprises qui doivent être rentables (contrairement aux organes de propagande qui ont progressivement disparu), sélectionnent collectivement l'information dont elles pensent qu'elle fera vendre : on voit bien comment sont montés en épingle mondialement des affaires qui ont un fort contenu symbolique et qui vont dans le sens des angoisses ou des euphories du moment. De par ce fait elles ont plutôt tendance à accroître ces phénomènes qu'à les tempérer

La pression de l'opinion publique contraint alors souvent le décideur politique à des prises de décision immédiate (dont les conséquences ne sont pas toujours très heureuses) et met en pleine lumière les insuffisances de la réflexion préparatoire permettant une gestion de crise efficace

II) face à cette accélération et cette complexification, une nécessité : reconstruire un bon nombre de nos règles de droit, de notre organisation et de nos processus décisionnels : "l'ingénierie de la confiance"

La mondialisation et la libéralisation de l'économie, s'ils conduisent les pouvoirs publics à recentrer leur action en abandonnant un certain nombre de leurs prérogatives, ne nécessitent pas moins des règles de vie collective, et leur rôle, s'il est profondément modifié, n'est en aucune façon amoindri

Face à toutes ces évolutions, et à l'amplification par la puissance et l'instantanéité des médias des peurs, des angoisses ou des euphories collectives, le rôle fondamental des pouvoirs publics est de créer et de maintenir les conditions de la confiance sans laquelle une société ne saurait fonctionner normalement : la monnaie, le commerce, le fonctionnement de la bourse, la sécurité physique, la gestion de la santé, l'acceptabilité des produits agroalimentaires, les normes et labels, la cohésion sociale,... sont profondément conditionnés par des questions de confiance

Bien entendu la condition première est que cette confiance soit méritée et que les conditions "technique" de celle-ci soient réunies: il ne s'agit bien entendu en aucune façon d'un travail d'habillage" ou de "com" créant une confiance injustifiée car celle-ci ne saurait en tout état de cause être que temporaire et nécessairement déboucher alors sur une grave "crise de confiance" difficilement réversible … mais l'expérience montre que ce n'est pas suffisant

Adapter ou créer de nouvelles règles de droit nécessite que le décideur prenne en compte à la fois

* la nature des évolutions technologiques qui sont à l'origine de ces évolutions

* la nécessité de construire du droit efficace (c'est-à-dire qui permette de résoudre les problèmes et non de faire vivre des avocats). Ces règles devant évidemment être conçues dès le départ dans une optique internationale et tout particulièrement européenne (ce qui est loin d'être évident étant donné les différences de philosophie juridique notamment entre pays latins et anglo-saxons)

* les conséquences économiques des diverses options qui se présentent aux décideurs

* le fait qu'il ne suffit pas que ces règles soient "objectivement" bonnes, pour qu'elles soient comprises, acceptées et donc finalement appliquées

Pour cela il est donc nécessaire de faire travailler ensemble

* des scientifiques, capable de comprendre les technologies et d'en mesurer les impacts ainsi que les risques de dérive

* des juristes capables de produire du droit efficace et prenant en compte le contexte international

* des économistes

* et des psychosociologues aptes à analyser l'état de l'opinion, les peurs, les phénomènes de groupe, et les conditions d'élaboration de la confiance

afin de se mettre en condition de pouvoir construire ou faire évoluer

* nos règles de droit : lois, règlement, décret, circulaires, codes, textes normatifs,...

* nos règles d'organisation : administration d'État, agences indépendantes, organismes décentralisés, organismes internationaux, structure privée d'intérêt public,...

* nos processus : procédure de recrutement des fonctionnaires, enquête publique, code de procédure pénale, procédure législative, procédures d'audit et d'évaluation

Les deux derniers points étant essentiels pour que nos concitoyens, ayant confiance dans les processus de décision et dans les structures qui les prennent, puissent avoir confiance dans les règles ainsi adoptées

II) Les décideurs publics ont besoin, s'ils veulent prendre des décisions pertinentes, de faire appel à des équipes pluridisciplinaires de chercheurs et d'experts

Les pouvoirs publics n'ont cessé d'expliquer aux grandes entreprises que, face à la complexité des problèmes qu'ils ont à affronter dans la compétition internationale, et pour développer les produits ou services dont avaient besoin leurs clients, il convenait qu'ils développent une activité de R&D.

Ne peut-on penser au vu des considérations ci-dessus qu'il en va aujourd'hui de mêmes pour l'État, et plus généralement pour l'ensemble des pouvoirs publics au sens large du terme (collectivités locales, autorités indépendantes, organismes chargés de missions d'intérêt général,...)
D'autant plus que bien d'autres pays ont engagé depuis longtemps des recherches importantes dans le domaine des "public policies"

À cela il est souvent objecté

* par les décideurs politiques, que la recherche est une œuvre de longue haleine alors que la décision doit être prise bien souvent dans de très courts délais voir dans l'instantanéité

* par les chercheurs, qui rappellent que leur métier est plutôt celui de la remise en cause des certitudes, que si la Recherche fournit des bases pour prendre des décisions elle ne produit jamais par elle-même des propositions de décision. Ils soulignent que leur rôle n'est pas d'apporter une "vérité" scientifique qui éviterait aux décideurs d'avoir à prendre leurs responsabilités.

* par les mauvaises langues : "il est plus facile de manipuler les discours basés sur les dogmes et la rhétorique que d'être confronté à la dure réalité des faits"

Plus que de chercheurs les décideurs ont donc besoin d'experts ?... Certes, mais comment disposer d'experts s'ils n'ont pas été formés par la recherche et ne peuvent se nourrir de ses travaux ?,

notamment les experts ont besoin

* de définition d'indicateurs pertinents par rapport aux objectifs poursuivis, permettant de procéder au recueil de données permettant, de mesurer des évolutions sur de longues périodes et de procéder à des comparaisons internationales ainsi que de proposer des outils de mesure pour évaluer les conséquences des politiques qui auront été mises en œuvre : la détermination de ces indicateurs, qui restent bien souvent à inventer est déjà en soi même un important travail

La démarche scientifique procède en effet d'abord par une observation rigoureuse des faits, ce qui est un travail long et souvent obscur mais dont on fait trop souvent l'économie dans le domaine des politiques publiques au profit d'une démarche "dogmatique" sous le prétexte fallacieux que la décision finale est de nature politique

* de compréhension des phénomènes et de leur modélisation permettant d'avoir une certaine capacité de prévisions en ce qui concerne les conséquences de telle ou telle mesure

pensons par exemple

* aux problèmes posés aux organes de régulation des bourses confrontés aux risques d'instabilités dus aux marchés à terme sur indice, aux hedge funds, options et autres "Futures" : les risques de "divergence" sont du même niveau de risque et de complexite que les coeurs de centrales nucléaires. Or autant il y a eu des recherches par les investisseurs/spéculateurs pour optimiser leurs stratégies boursières, autant il y a carence du coté du régulateur dont le rôle est évidemment diamétralement opposé,

* comment lutter contre les monopoles (comme ceux de Microsoft) quand la "production" (duplication d'un logiciel) a un coût nul et que les revenus proviennent de l'appropriation d'un standard : les sanctions efficaces pour des entreprises classiques (on les coupe en 2) deviennent totalement inopérantes. La sanction qui semblerait efficace (rendre obligatoire la publication des sources et transformer tout logiciel devenu un standard de fait sur un marché majeur de devenir "ouvert"): les outils juridiques restent à inventer

* Les Ntic, tout à la fois outils et facteurs de la Mondialisation (qui n'est pas seulement économique), sont évidemment au cœur de cette évolution en bouleversant les logiques de pouvoir ainsi que les mécanismes gouvernant tant de l'économie que de la démocratie: les pays Anglo-Saxons l'ont bien compris en développant de solides équipes de recherche dans ces domaines

Cette compréhension fine des mécanismes permet aussi d'anticiper certains effets pervers de mesures, apparemment de bon sens, mais qui seront parfois supérieurs à l'effet direct

Il suffit d'évoquer par exemple au domaine de la fiscalité, de la création d'emploi par réduction du temps de travail, des économies sur la santé en déremboursant les placebos (ce qui pourrait en fait accroître les dépenses (substitution par des médicaments actifs, donc chers, non utiles) en aggravant la situation sanitaire (actifs et non-utiles=nocifs) et en détruisant des emplois (médicaments importés)), des mesures visant à éviter la corruption dans les marchés publics en stérilisant l'innovation, des règles édictées en fonction du principe de précaution et qui créent des risques plus importants ailleurs, des règles visant à responsabiliser les décideurs et qui les conduisent du principe de précaution à la politique du parapluie,...

* de compréhension de la façon dont s'établit ou non la confiance selon la façon dont la décision est prise

III) une nécessité : former les futurs Hauts Fonctionnaires pour qu'ils soient capables d'élaborer les outils permettant aux décideurs de traduire concrètement leurs décisions politiques : l'ingénierie de la confiance

il est paradoxal de constater que nos Hauts Fonctionnaires Ingénieurs

* sont formés par des enseignants chercheurs pour la partie technologique de leur futur métier, leur permettant de concevoir et d'orchestrer le travail de spécialistes jusqu'à la réalisation d'un ouvrage technique

* mais que pour le cœur de ce futur métier, construire des règles, des structures et des processus, dans un Etat qui n'assure plus que marginalement de fonctions productives, leur "formation" se réduise à des "leçons de chose" :

on leur décrit la situation (loi, organisation, procédure) par des conférences réalisées par des praticiens (qui cherchent davantage à séduire de jeunes esprits brillants qu'à les former). On leur laisse entendre indirectement que l'expérience pragmatique de terrain suffit sans avoir besoin de connaître les règles intimes qui permettent de comprendre

mais on ne leur apprend pas à "construire" en concevant et en réalisant des "produits" réglementaires et organisationnels en fonction d'un "cahier des charges fonctionnel"

Pour cela il conviendrait de leur enseigner les mécanismes fondamentaux afin d'en comprendre les principes (que penserait-on de la formation d'un Ingénieur des ponts se limitant à la description des ouvrages d'art laissés par ses prédécesseurs...)

Ceci impliquera de disposer d'équipes d'enseignants chercheurs qui auront consacré une large partie de leur vie professionnelle à développer une véritable discipline "d'ingénierie juridique" permettant à partir d'un "cahier des charges" défini par le "Politique" de forger un outil juridique efficace, c'est-à-dire cohérent avec les objectifs poursuivis (sans effets pervers), effectivement applicable (infractions bien caractérisées, sanctions), équitable, rapide, peu coûteux, avec des mécanismes d'évaluation permettant d'en contrôler les éventuelles dérives. (nous n'avons évidemment pas la naïveté de croire que les objectifs affichés sont toujours ceux réellement poursuivis mais cela fait partie des difficultés qu'il convient d'apprendre à comprendre et à gérer: dans le domaine des biocarburants l'objectif n'était bien évidemment ni énergétique ni environnemental)

Cela nécessitera la constitution d'équipes associant chercheurs en droit, en économie et en sciences, capables de forger de nouveaux concepts, des méthodologies et de former des experts

C'est la raison pour laquelle on peut penser que la localisation la plus pertinente de ces réseaux de recherche en "ingénierie de la chose publique", (qui dans une large mesure sera de "l'ingénierie de la confiance"), sera dans les Ecoles qui forment nos hauts fonctionnaires (Ecoles des Mines, des télécoms, des Ponts, du GREF, de l'Armement,... sans oublier bien entendu l'ENA) et que ce sont les chercheurs de ces équipes qui joueront un rôle clé dans la formation de nos futurs cadres décideurs car, ne l'oublions pas, la formation est la première et une des plus efficace forme de "transfert de technologie" entre les labos et la mise en œuvre opérationnelle

Faut-il donner une telle formation théorique dans le cadre la formation initiale à des étudiants prolongés qui, malgré les stages, n'ont encore pas beaucoup de "vécu" permettant d'assimiler ce type de discipline ?

On peut effectivement nourrir des interrogations sur ce sujet et c'est pourquoi il faut sans doute envisager tout à la fois une entrée plus précoce dans la vie professionnelle et accompagnement, durant les 5 premières années, par une formation continue qui déboucherait par exemple sur un MBA (n'oublions pas en passant que nous formons aujourd'hui des "undergraduate" à bac+8 et que l'ENA est sans doute une des rares graduate school mondiale à ne pas avoir de recherche associée)

Cela étant, la dispersion des fonctionnaires sur le terrain, notamment en début de carrière conduira sans doute à privilégier une approche par e-learning se nourrissant du vécu professionnel parallèle. Des regroupements physiques pourront avoir lieu par exemple une fois par trimestre pour développer des liens entre les hauts fonctionnaires concernés, favoriser les échanges qui sont eux même très formateurs (et certaines disciplines s'enseignent difficilement à distance)

Le coût de l'élaboration de ces nouveaux MBA conduira sans doute à les concevoir dans le cadre d'un travail en réseau ente l'X, ses Ecoles d'appli et l'ENA

Par ailleurs on peut penser que ces nouvelles formations ne devront pas être réservées aux fonctionnaires d'État et seront ouvertes à d'autres cadres supérieurs travaillant dans des collectivités locales ou autres organismes d'intérêt général. Elles le seront aussi bien évidemment à des étudiants étrangers, notamment européens : c'est aujourd’hui ce que fait le "collège des Ingénieurs" de l'Ecole des Ponts, formation qui semble se rapprocher le plus de ce concept.

Il va de soi que ces équipes d'enseignants-chercheurs devront travailler en étroite symbiose avec les organismes de recherche plus fondamentaux (CNRS) ou plus spécialisés (CEA, Ineris, Brgm, Inra, Inria, Inserm,...)

Enfin à l'évidence et pour les raisons analysées plus haut ces équipes d'enseignants-chercheurs veilleront à développer des relations de travail permanentes avec leurs homologues internationales (et au premier chef relevant des pays de l'Ocde notamment européens)

IV) Comment animer coordonner et développer un tel réseau ? un "Réseau National de Recherche en Politique Publique" (RNRPP).

a) Cartographier

Bien que l'effort accompli dans ce domaine soit notablement insuffisant (en dehors peut-être de la macroéconomie) on ne part pas de zéro : il convient donc

* de commencer par une cartographie des équipes travaillant dans ce domaine

* de recenser, ce qui est plus complexe, les équipes ayant les compétences et les motivations pour s'y investir

b) mettre en place un comité de pilotage capable d'exprimer les besoins et d'être à l'écoute des suggestions

ce comité comprendrait pour l'essentiel des représentants des différents ministères et de la "société civile"

Son rôle serait de conduire une réflexion prospective pour définir les domaines d'une importance pour le pays et dont la complexité nécessite une analyse et une réflexion approfondie s'appuyant sur une observation rigoureuse des faits.

Il élaborerait des appels d'offres et des appels à proposition

c) Mettre en place un fonds auprès du ministère chargé de la recherche de la technologie, abondé par les ministères intéressés à la démarche dans le cadre d'un "réseau de recherche en politique publique" qui fonctionnerait sur des principes très analogues aux autres réseaux nationaux de recherche par exemple le "réseau national de recherche en télécommunications"

Ce RNRPP fonctionnerait en lançant des appels d'offres et des appels à propositions, un comité scientifique permettant de contrôler la qualité des propositions et du travail réalisé. Il veillerait par ses règles de fonctionnement à favoriser le travail en réseau tant entre les équipes nationales qu'internationales.

Ce fonds financerait la recherche de base, le financement des laboratoires serait abondé par des prestations d'expertise payée directement par les pouvoirs publics demandeurs

Il serait dans la nature des choses qu'un tel réseau étendu au niveau européen (RNPP Research Network on Public Policies) bénéficie de fonds du PCRD (Il est sur ce plan particulièrement étonnant que le PCRD soit très soigneusement ignoré des DG opérationnelles et que par exemple sur les régulations "monnaie", "santé", "emploi" ou "environnement" les commissaires n'aient pas cherché à développer des réseaux de compétence sur lesquels s'appuyer pour nourrir leur réflexion ou appuyer leurs décisions le moment venu...: n'y aurait-il pas là également une initiative à prendre ?) : une initiative intéressante, mais encore bien timide, du 6ème PCRD est la création du groupe "prospectiva" pour répondre aux questions de la commission

V) favoriser les réflexions communes entre décideurs, chercheur et leader d'opinion : mettre en place des "Think Tanks"

Il ne s'agit évidemment pas d'imaginer que la décision politique puisse se réduire à une approche cartésienne scientifique : il y a des différences d'appréciation quant aux valeurs qui sont le propre d'une démocratie.

Néanmoins on peut penser que le débat démocratique gagnerait à s'appuyer sur une connaissance objective des faits observés et des mécanismes démontrés par l'expérience : les débats pourraient alors davantage porter sur les idées les objectifs (les domaines de l'énergie et de la santé fournissent un champ intéressant sur ce plan

Dans les pays anglo-saxons fonctionnent de longue date des "thinks tanks", localisés près des Universités, réunissant chercheurs, décideurs et leaders d'opinion qui peuvent ainsi débattre, loin des caméras et des "jeux de rôle", en s'appuyant sur tout ce que la démarche scientifique peut expliquer ou permettre de mieux analyser afin de faire bénéficier leurs concitoyens d'un débat plus riche car éliminant une partie des malentendus ou des faux problèmes partant d'une méconnaissance involontaire des faits ou des mécanismes

Là encore tout naturellement au confluent de la recherche, de la formation initiale et de la formation continue, nos grandes écoles chargées de la formation de nos futurs aux fonctionnaires paraîtraient le lieu le plus approprié
 
 
 
 

VI) exemples de domaines où il apparaîtrait prioritaire de développer un investissement recherche

Critères proposés

* problèmes relevant d'enjeux de longue durée

* sujets nécessitant

-- des compétences technologiques (compréhension des phénomènes afin d'être en mesure de proposer des solutions concrètement applicables

-- économiques complexes (capacité d'évaluation des effets pervers potentiels)

-- des compétences juridiques internationales: il est nécessaire de produire du droit efficace (donnant lieu à peu de contentieux, rapide, peu onéreux) capable de répondre à un cahier des charges fonctionnel, dont le champ d'application sera souvent international et intégrant des mécanismes d'évaluation permettant de détecter et corriger les dérives

-- des compétences sociologiques, car il faut que le droit soit acceptable pour être réellement mis en œuvre (mécanismes d'enquêtes publiques, développement de think tanks autour des équipes de recherche pour contribuer à la maturité des réflexions des décideurs et des "faiseurs d'opinion"…)

Quelques exemples en vrac au fil de la plume pour éclairer le propos dans un domaine particulier : celui des NTIC

* fiscalité de l'Internet (TVA sur les échanges immatériels transfrontaliers,…)

* sécurité des moyens de paiement, droit du cryptage, droit de "battre monnaie" création de nouvelles monnaies virtuelles comme le Beenz

* droit de la preuve (signature électronique,…)

* règles de protection de l'enfant, du malade, du consommateur, du travailleur, de l'épargnant dans la nouvelle économie (qui ne se réduit pas à l'économie des Start-up, mais qui prend en compte l'ensemble de l'économie dotée du nouveau système nerveux qu'est Internet : voir http://www.yolin.net/prediagnostic.ppt)

* nouvelles approches de la régulation publique (organismes indépendants, outils nécessaires à la régulation ( évaluation des coûts, instrumentation des paramètres significatifs, mécanismes de sanctions efficaces,…). Par exemple comment assurer la régulation d'une bourse des valeurs paneuropéenne totalement virtuelle comme Jiway, comment assurer la stabilité de ces systèmes aussi délicats à contrôler qu'une centrale nucléaire (rapidité des réactions, risque de "divergence" des systèmes de vente automatiques, effet d'amplification des nouveaux instruments indiciaires et de "futures",…)

* de nombreuses règles reposent sur l'établissement de normes élaborées par des structures publiques ou parapubliques: la norme est un élément essentiel du fonctionnement de l'économie: aujourd'hui le risque est grand que les processus de normalisation, par leur lenteur deviennent complètement marginalisés par les normes de fait élaborées par les quelques entreprises dominantes

* principe de précaution et optimisation des moyens mis en œuvre pour la santé publique

* propriétés intellectuelles (copyright, droit d'auteur, brevet logiciel, brevet sur le génome, droit des marques, droits des noms de domaine, propriété de l'éditeur sur les publications scientifiques, droit sur les bases de données, interdiction de décompilation, logiciels libres,…) cohérence entre des droits qui se rencontrent et cohérence avec les objectifs initiaux (permettre aux auteurs de gagner leur vie, droit à leur production intellectuelle, contribution à l'élévation du niveau technologique du pays, juste rémunération de l'effort de R&D,…)

* droit de la concurrence, réglementation sur les abus de position dominante dans une organisation qui évolue d'une économie de la production à une économie de standards (Microsoft bénéficie par exemple de la privatisation d'un standard de fait, ce qui est une situation inédite qui ne peut se régler par un simple démantèlement: "first takes all", loi de Davidoff et de Metcalf), règles à appliquer aux nouvelles place de marché construites par des groupes représentant jusqu'à 80% du marché mondial pour des transactions se chiffrant en centaines de milliards de $ chacune

* réseaux d'infrastructures télécom et développement économique local

* évolution des organisations hiérarchiques et donc en particulier du métier du "cadre" quelle conséquence pour l'enseignement, gestion des relations de confiance (transparence, droit à l'initiative, motivation, innovation) et de défiance (secret, contrôle, hiérarchie,…) : quelles conséquences pour l'organisation des administrations?

*évolution du métier de l'enseignant et des méthodes pédagogiques, le e-learning, conséquence pour l'enseignement

* évolution de l'organisation en matière de santé, reprise du pouvoir par le malade (accès par Internet à de l'expertise ou de la contre-expertise, publicité pour le médicament, régulation des dépenses de santé, prix du médicament, …

* "privacy": droit des personnes à leurs données individuelles dans le cadre d'un réseau mondial, commercialisation des fichiers (en cas de rachat de l'entreprise, de liquidation quand c'est un de ses actifs principaux,. Droit de saisie par l'administration fiscale, douanière, par les services de police,…)

* quels sont les nouveaux risques de fractures sociales

* équilibre dynamique entre grands groupes et réseaux de PME dans le nouvel écosystème qui se met en place

* émergence de nouvelles communautés (acheteurs, vendeurs, prescripteurs) et de nouveaux "tribalisme" avec l'effacement des notions de distance et donc de territoires, rôle des infomédiaires, rôle de la loi et de la réglementation pour réguler cette nouvelle forme d'organisation sociale délocalisée: droit du travail dans des structures virtuelles multinationales (alors qu'aujourd'hui on régule en fait l'emploi (statut de soumission mesuré en heure) et non le travail (contrat de mission mesuré en résultat)

* quelle politique d'armement dans des conflits ou l'arme essentielle est la maîtrise de l'information (problème posé par Echelon), la maîtrise des systèmes de commandement, la maîtrise de "l'intelligence des armes, les : la "soft-war"

* quelle évolution pour l'urbanisme devant une telle évolution des modes de communication

* comment faire évoluer le processus d'élaboration du droit

* la e-démocratie: le vote en ligne, les autres modes de communication avec les électeurs, l'utilisation des méthodes de ciblage marketing, les fichiers d'électeurs, le "marketing one to one appliqué au politique, la prise en compte de ces outils dans le chiffrage des dépenses de campagne (hébergement gratuit,…) comment s'assurer du respect des principes qui fondent une démocratie?, comment éviter les risques de détournement ou d'accaparement du pouvoir, quelle conséquence sur le profil des votants, sur la publication des sondages, quelles nouvelles relations élus-électeurs, quelles conséquences sur la répartition des niveaux de compétence juridique entre échelons de collectivités locales, régionales, nationales ou internationales

* nouvelles pathologies, influence des bouleversements entraînés par l'affaiblissement de notions structurantes comme l'espace et le temps (disparition pour certaines profession de la frontière entre lieu de domicile et lieu de travail, nomadisme), règles de sécurité individuelles et collectives,

* cybercrimes, (piratage, chevaux de Troie, bombes logiques, vers, virus, Hoax, vol de données, intrusions, saturation du réseau, détournement d'information, accaparement de moyens de calcul, diffamation, désinformation, pédophilie, publicité interdite, chaînes pyramidales, édition d'ouvrages censurés, jeux d'argent, blanchiment d'argent, paradis fiscaux, SPAM (10 milliards de $ de préjudice causé par cette nouvelle forme de pollution), publication de mode d'emploi pour fabriquer des bombes,…) moyen de les qualifier et de les sanctionner dans un contexte de mondialisation, permanence de l'infraction ou prescription,…. Capacité à prendre des décisions collectives (UE, OCDE,…) et de les faire respecter par les cyberparadis, souvent des micro- Etats, parfois créés uniquement à cette fin comme la principauté de Sealand. Responsabilité éditoriale pénale et civile pour des sites visibles du monde entier: alignement sur le plus laxiste ou sur l'Iran, la Chine…, protection de la liberté d'opinion (en fonction de quel droit, de quel pays? Des frontières filtrant l'information? est-ce techniquement possible?)

* réglementation?, régulation?, autorégulation?, co-régulation?
 
 
 
 

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