Lettre aux chercheurs en sciences qui ne sont pas reconnues comme exactes




Aujourd'hui chefs d'entreprise, chercheurs, enseignants, hommes politiques, voient les schémas sur lesquels ils ont bâti tous leurs réflexes, tous leurs repères, totalement bouleversés par l'Internet qui change des paramètres aussi fondamentaux que l'espace et le temps, et donc remet en cause l'organisation de la société et les pouvoirs de ses chefs, petits ou grands

Je ne parle pas ici des sites Web institutionnels, ni des boutiques sur Internet, ni de la navigation sur la toile : ceci ne représente que la partie visible, totalement marginale du phénomène.

C'est l'écume de la mer qui masque la lame de fond que la plupart d'entre nous n'ont pas même encore entraperçu.

C'est sans doute la raison pour laquelle aucune innovation majeure n'a été réalisée dans les grandes entreprises : tous les nouveaux créneaux véritablement innovants ont été pris part de petites start-up crées à cet effet qui ont boulversé sans complexe tous les pouvoirs établis. Cela a même donné lieu à une nouvelle expression : "to be amazoned" du nom de la célèbre cyber librairie (pour laquelle la vente de livres n'est à l'évidence pas l'élément essentiel)

Dans notre pays, quand Éric Benhamou dit : "ce qui est important, c'est de gagner de l'argent, pas de faire des bénéfices : ceux qui en font, soit n'ont pas une très bonne idée, soit ils l'ont gâchée"peu de personnes comprennent ce qu'il veut dire, car nous avons dans l'idée qu'une entreprise c'est d'abord un patrimoine accumulé sur une vie, et un pouvoir qu'il convient de transmettre, alors qu'il s'agit bien davantage d'un moyen provisoire pour prendre des parts de marché en quelques semestres, créer de la valeur et se redéployer ensuite dans un nouveau créneau

Quand d'autres poursuivent en soulignant que l'on peut estimer la valeur d'une start-up par le montant de ses pertes de la troisième année de son existence, certains pensent qu'il s'agit d'une plaisanterie ( et pourtant il suffit de réfléchir un instant pour comprendre que le montant de ces pertes correspond très exactement à celui de l'investissement marketing que les meilleurs spécialistes ont misé sur ce projet à un moment ou le chiffre d'affaire est encore quasi nul)

L'économie des logiciels libres, souvent gratuits, réalisé de plus en plus fréquemment par des entreprises du secteur privé, reste pour eux un mystère. Certains directeurs informatiques ont encore du mal à admettre que les logiciels gratuits sont en général beaucoup plus performant et d'une meilleure qualité que les autres

Il est clair que notre culture millénaire, profondément imprégnée du souci de maîtriser la terre, nous a moins bien préparé à ces défis que celle de pays que la nature plus hostile à conduit de vivre en communauté de pêcheurs de chasseurs (comme les pays du Nord) ou à s'organiser en diaspora (comme Israël).

C'est sans doute la raison pour laquelle, c'est en Californie, que Pierre Omidyar français d'origine, qui a eu l'idée de mettre nos brocantes sur le Web, a créé son entreprise il y a quatre ans : il a aujourd'hui 2 millions de clients, organise 130 000 ventes aux enchères chaque jour et son entreprise, e-bay, vaut 26 milliards de dollars, soit davantage qu'une très grande banque française qui aurait sans doute eu du mal à comprendre son projet

Pour jeter un regard cru sur ce point regardons seulement un instant le classement des hommes les plus riches du monde établi par le magazine Forbes. On y trouve ceux qui ont compris : sur les quatre premières places, 3 sont occupées par des patrons d'entreprise Internet (avec150 milliards de dollars à eux trois : ils pèsent plus que beaucoup d'Etats ) et en sixième position, Richard Dell, qui, à trente-quatre ans, a une fortune personnelle de 16,5 milliards de dollars.

Aujourd'hui le vice-président de General Motors fait part de son inquiétude devant le modèle économique développée par une start-up, Autobytel, qui le conduit à perdre le contrôle de sa distribution : cette petite entreprise permet aux acheteurs de mettre en compétition l'ensemble des concessionnaires de la marque, et elle est en fait devenue l'acteur clé du commerce automobile,... mais aussi du financement, de l'assurance et de la vente des voitures d'occasion

Rappelons aussi le propos de Bill Gates : "we need banking but no bankers" : Internet permet de diviser par plus de 100 le coût d'une transaction. Les deux leaders du marché des actions sur Internet, créés il y a à peine quatre ans, e*trade et Charles Schwab, ont déjà conquis trois millions de clients, et, aujourd'hui aux États-Unis, 25% des transactions boursières des particuliers se font déjà sur Internet

La relation directe qu'Internet permet d'établir entre le producteur et le consommateur va condamner de très nombreux intermédiaires à disparaître.

À l'inverse, dans un univers plus complexe, plus incertain aussi, de nouveaux intermédiaires vont devoir se créer pour apporter d'utiles conseils et l'indispensable confiance, sans laquelle il n'y a pas de commerce.

C'est ainsi plus de la moitié des emplois qui en quelques années vont devoir subir une profonde mutation, en particulier les métiers commerciaux, ceux de la logistique et de la gestion et bien entendu celui des cadres

L'organisation même du tissu industriel se trouve elle aussi bouleversée : Outre-atlantique plusieurs dizaines de milliers d'entreprise du secteur automobile sont reliées entre elles par un extranet qui devient progressivement le véritable système nerveux de ce tissu industriel. Cette nouvelle organisation permettra de raccourcir considérablement les cycles de conception et de production et d'économiser un milliard de dollars par an à rien que sur les coûts administratifs (le coût de gestion d'un achat passe par exemple de 70 dollars à 4 dollars)

Mais ceci ne concerne pas, loin de là que les grands groupes.

Un artisan-boucher d'un quartier résidentiel ne voyait la plupart de ses clientes que le week-end, car en semaine celles-ci travaillaint en ville, En créant pour quelques centaines de francs un petit site il leur a offert la possibilité de faire leurs emplettes depuis leur bureau et de passer prendre les paquets tout préparés le soir à leur retour : aujourd'hui il a des clientes toute la semaine

Autres exemples,

Mais au-delà de l'économie, c'est toute l'organisation de la société qui va devoir être repensée : Si l'Internet ne change par les fondements du droit, elle gomme la notion de territoire, et par la même celle de souveraineté.

Pour ne prendre que quelques petits exemples très terre à terre: quid du pouvoir de censurer ? Comment empêcher les Indiens du Chiapas de communiquer en direct au monde entier ? quid du prix unique du livre? De l'interdiction des sondages pendant les campagnes électorales? De la publicité pour l'alcool? Des droits d'auteur? De la notion de distributeurs ayant une exclusivité géographique? De la réglementation sur les casinos? De la fiscalité? Que penser de l'existence de fichiers qui permettent de répondre la question "donnez-moi la liste des célibataires belges agés de moins de trente-cinq ans, habitant dans des quartiers résidentiels, ayant un épagneul breton et faisant des achats d'impulsion"? Dans un monde de plus en plus dépendant de la gestion de l'information quelles seront les nouvelles formes de guerre? Quels seront les nouveaux armements pour la soft-war?

Même dans les cas où le droit est clair, y a-t-il les gendarmes pour le faire appliquer? Et que vaut un droit qui n'est pas applicable?

Devant de telles interrogations qui ne manqueront pas de nous bousculer, comme elles commencent à bousculer les pays qui ont compris l'Internet avant nous, nous avons collectivement un cruel besoin d'éclairage public

Certes notre retard est aussi un atout car il suffit de prendre l'avion pour visiter l'avenir, mais on peut penser que les chercheurs ont dans ce domaine un rôle crucial à jouer pour éclairer nos concitoyens et tout particulièrement les décideurs afin de les aider à gérer au mieux tous ces défis

Bien entendu nous comptons sur nos chercheurs pour participer à la création des nouvelles briques technologiques et logicielles sans lesquelles l'Internet ne serait pas, et, sur ce plan notre pays n'a pas à rougir tant au niveau de ses laboratoires publics que de ses entreprises

Mais contrairement à ce que pensent beaucoup en cédant à la facilité d'une analogie trop facile entre les NTIC et les biotechnologies, il faut prendre conscience qu'Internet est d'abord un standard bien avant d'être une technologie : le protocole Internet (IP) n'est pas plus innovant que l'idée qui a conduit à convenir du fait qu'un rond avec une queue se prononçait "a" et que b-a se prononçait "ba"

Et pourtant cette simple convention qu'est l'écriture a permis de signer des contrats, d'écrire des lois, de capitaliser les connaissances, d'établir une communication entre des personnes éloignées l'une de l'autre et par là même de développer la science et de modifier ainsi profondément l'organisation de la cité :

comme pour l'Internet l'écriture a surtout permis des innovations d'usages (comme le droit écrit) plus encore que des innovations technologiques (comme la machine à écrire)

Nous avons donc aussi besoin des chercheurs dans le domaine économique, juridique politique et social pour nous permettre de comprendre des phénomènes extraordinairement complexe et espérer ainsi pouvoir utiliser les potentialités d'Internet plus intelligemment  tant pour notre économie que pour notre société :

voici à titre d’exemple quelques sujets qui mériteraient sans doute de faire l’objet de travaux de recherche

Quelles mutations Internet génère-t-il dans les structures industrielles ?

Quelles mutations dans l'organisation des entreprises ?: l'Internet une économie de standards et non de High Tech les coûts : l'urbanisme : l'aménagement du territoire dans le domaine juridique : Il convient donc de faire preuve de créativité dans ce domaine et de développer une compétence reconnue sur le plan mondial pour dans le domaine social dans le domaine artistique Dans le domaine militaire dans le domaine de la recherche
 
 

Jean-Michel Yolin

http://www.yolin.net