Jean-Michel Yolin                                                                                                                               dimanche 1er avril 2001

Un problème important et urgent : un droit de la propriété intellectuelle adapté au logiciel
le danger présenté par l'adoption d'une réglementation à l'américaine en matière de brevets logiciels

Un projet de directive européenne propose de remettre en cause la non brevetabilité des logiciels, garantie aujourd'hui par la directive européenne du logiciel de 1991.

Il ne s'agit évidemment pas ici de contester le principe général du brevet qui permet

Les règles du brevet actuel, issues d'une longue expérience sont bien adaptées aux industries manufacturières mais l'extrapolation "mécanique" du champ du brevet, défendue notamment par les professionnels de la propriété industrielle et les entreprises dotées de puissants services juridiques, ont de bonnes chances de conduire à un résultat totalement inverse des buts poursuivis jusqu'alors à travers cette réglementation

1) le risque de pousser au secret quand le brevet a pour objet la connaissance publique des inventions

En effet la notion "d'invention" brevetable (utile, nouveau, non évident) dans ce domaine est particulièrement floue (plus de 100.000 brevets ont été déposés aux USA) couvrant des process aussi évident que celui du "one clic" : "quand quelqu'un a déjà passé une commande chez vous, il est inutile de lui redemander son adresse la seconde fois", Brevet déposé par Amazon

Tant et si bien qu'il est aujourd'hui quasiment impossible d'écrire un programme sans "violer" involontairement un de ces brevets:

La meilleure protection est alors le secret des codes source

Pour aller jusqu'au bout de cette logique le droit américain protège ce secret par une loi qui interdit la décompilation des logiciels, …ce qui conduit à l'impossibilité de prouver que le brevet a été copié

Ceci est en outre fort préjudiciable à la sécurité des programmes (les bugs et les "entrées secrètes" (backdoors) qui permettent d'espionner votre ordinateur sont beaucoup plus vite détectés et corrigés dans un logiciel dont les codes sources sont publics)

On arrive ainsi au résultat strictement inverse du premier des objectifs visés par le brevet: le progrès des connaissances publiques

2) une entrave à l'innovation

La pratique actuelle des brevets sur les logiciels aux Etats-Unis et au Japon conduit de fait à un détournement de la procédure pour paradoxalement verrouiller l'innovation en "minant" le terrain vis-à-vis des nouveaux entrants par le dépôt de très nombreux brevets qui ne se justifient pas par le caractère original ou majeur d'une invention. Voir www.freepatents.org

Le nombre considérable des brevets sans réelle valeur qui sont déposés auprès des organismes de protection de la propriété intellectuelle conduit à noyer le système de classification et de recherche d'antériorité jusqu'à le rendre pratiquement inopérant.

Ce type de brevets est alors utilisé comme un instrument de blocage de l'émergence de nouveaux concurrents par certains éditeurs de logiciels dont l'assise financière leur permet d'effectuer de nombreux dépôts et d'engager des poursuites contre les start-ups innovantes qui menacent leurs positions commerciales (rappelons que Microsoft emploie plus d'avocats que Yahoo! n'a de personnel). On parle même d'officines qui se sont spécialisées dans ce type de dépôt de brevets et qui vivent de cette activité:

Même si les détenteurs de brevets peu innovants ont peu de chance de gagner leur procès devant un tribunal…2 ans plus tard, le pouvoir de nuisance que leur confère cette réglementation (frais de justice, temps et énergie perdus par la jeune entreprise, fuite des investisseurs,…) est extrêmement dissuasif et les met en position d'imposer à celles-ci des contrats léonins pour s'approprier les véritables inventions!.

De ce fait, le projet européen dans son état actuel constitue une menace pour le développement des entreprises européennes petites et moyennes (souvent les plus inventives) qui seraient à la merci des multinationales d'outre atlantique

3) une durée de 20 ans inadaptée à l'innovation logicielle

De plus, dans le domaines des logiciels où les cycles d'innovation sont plutot de 3 ans que de 20, la durée actuelle des brevets paraît totalement inadaptée

4) une arme contre les logiciels libres

Enfin ce brevet peut être, dans l'état actuel du projet, une arme particulièrement dangereuse contre les logiciels libres qui se sont révélés être un moyen puissant de rétablir une libre concurrence et d'encourager le strict respect de normes communes sur un marché où l'on déplore les stratégies anti-concurrentielles de certains grands éditeurs: en effet les codes source de ces logiciel étant par définition publics il est très facile d'y trouver des "violations" de brevet alors que cela serait impossible si les mêmes programmes s'abritaient derrière le secret des codes et l'interdiction de décompilation

Un leader du marché affirme d'ailleurs dans une note stratégique interne que l'usage des brevets doit être envisagé pour combattre l'essor des logiciels libres.

Elaborer une réglementation sur les brevets adaptée aux logiciels et qui permettent d'atteindre effectivement les objectifs pousuivis

Il ne semble donc pas justifié

Il conviendrait donc de revenir aux objectifs initiaux poursuivis par le droit de la propriété industrielle: promouvoir le progrès technique et assurer une juste rémunération à celui qui a investi en R&D

Mais, si les objectifs sont les mêmes, les domaines technologiques concernés obéissent à des règles sensiblement différentes : il conviendra donc, comme cela a été fait pour les bases de données, de créer un droit sui generis au niveau européen

* permettant de protéger le légitime intérêt des entreprises qui innovent

* définissant de façon claire le champ couvert

* fixant une durée compatible avec les cycles de vie propres aux NTIC (3 ou 4 ans?)

* définissant des procédures adaptées en terme de délai et de couts

* Il sera en outre nécessaire, avant d'adopter tout texte réglementaire sur les brevets logiciels en Europe, de procéder à une étude fine de ses risques d'effets pervers afin d'éviter que le cadre juridique proposé puisse être utilisé comme une simple arme dans les mains d'industriels disposant de nombreux avocats pour paralyser la concurrence, l'innovation ou l'émergence des logiciels libres. (sachant que l'essentiel des vraies innovations dans le domaine logiciel provient des pme et qu'il s'agit là d'une menace majeure) : on pourra pour cela utilement étudier les dérives auxquels le système américain a conduit

La nécessité de développer un réseau de recherche en politiques publiques
Enfin nous avons malheureusement pu constater, à l'occasion de l'étude de ce sujet, que sur des problèmes aussi complexes dans leur dimension technique et juridique et aussi importants dans leurs enjeux économiques et stratégiques, il n'était possible de s'appuyer sur aucun travaux de recherche nationaux (les seules études que nous avons pu exploiter étaient anglo-saxonnes : voir le rapport http://www.cgm.org/rapports/brevet.pdf): il s'agit là d'un problème qui doit être traité en tant que tel

A la suite de ce constat le centre de recherche en économie de l'Ecole des Mines de Paris a commencé à s'investir sur le sujet

De façon plus générale il paraît de plus en plus indispensable de pouvoir s'appuyer sur un réseau de recherche centré sur les politiques publiques pour des sujets aussi complexes afin tout à la fois de pouvoir mieux définir nos positions et d'avoir les arguments susceptibles de convaincre nos partenaires www.yolin.net/polit_public.html
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Le brevet logiciel, une arme à double tranchant      D:\jm\internet\mirage2001\brevet1.doc